mercredi 23 janvier 2013

Logistique : le pétrole "gratuit" en action

Je terminai mon précédent billet en disant que les tarifs de l'énergie sont à ce point dévalués qu'ils rendent le coût énergétique quasi nuls dans notre système économique. Et ce phénomène engendre des choses complètement illogiques.

Souvenez vous, en 2007, lors de la présentation de son Pacte Écologique, Nicolas Hulot mentionnait un accident dans le tunnel de Fourvière, tous deux transportaient des tomates, l'un venait de Finlande pour aller au Portugal et l'autre venait d'Espagne pour aller livrer ses denrées en Suède. Le truc complètement idiot que l'on a du mal à imaginer, non ?

Et bien je vais vous relater une situation tout aussi ubuesque. Récemment, j'ai fait l'acquisition d'un ordinateur portable chez Dell, marque que j'affectionne particulièrement et pour plusieurs raisons, mais qui sortent largement du cadre de ce blog ; et pour les geeks, j'utilise Linux dessus et pas Windows. Une fois la commande validée, je me suis empressé de me rendre sur le site d'UPS afin de suivre le cheminement de ce PC, et j'en suis resté sur le c.. !

Voici le cheminement pris par le colis :


Première constatation, pour effectuer un tel périple en 48 h, le colis a royalement voyagé en avion. C'est à dire avec le moyen le plus polluant par unité transporté, juste entre 25 et 80 fois plus que le bâteau ! Et comme la magie n'existe pas, c'est bien sur au pétrole que volent ces avions, pétrole qui fournit 98% de l'énergie des transports dans le monde.

Ça m'intéressait de regarder plus précisément le trajet emprunté par ce colis, j'ai pris mes outils favoris et commencé à dessiner des cartes à partir du tableau ci-dessus. Première partie, le voyage en Asie. Je me suis fié à la fiche Wikipédia de Dell pour déterminer que le colis est parti de la ville de Xiamen, dans la province chinoise de Fujian, mais c'est une simple supposition.

Sur la carte suivante, il y a donc Xiamen (A), Shanghai (B) et Incheon (C) étape terminale du colis en Asie.



La longueur du trajet en Asie est d'environ 1680 km, en supposant que les avions volent en ligne droite, ce que je n'ai pas réussi à apprendre des cartes des corridors aériens. Une fois arrivé à Incheon, probablement pour un rassemblement de colis, l'avion repart, cette fois pour l'Europe, exactement à Cologne en Allemagne.



Voilà, mon colis a parcouru 9650 km de plus, c'est bien loin la Chine, normal. Là où ça devient rock & roll, c'est que le colis va repartir, quasiment en sens inverse, direction le Kazakhstan.



Avec ça, on ajoute 5700 km environ au trajet. Et on se demande pourquoi on en arrive à de telles absurdités, car, comme on va le voir, le colis va revenir à Cologne, mais pas tout de suite. D'abord, on va faire un tour à Varsovie.


Ce qui nous ajoute 4300 km au compteur, puis on décolle pour le trip final à Cologne.


Et encore +970 km. Mais là, enfin ça y est, on part pour la France.




On ajoute encore 820 km et c'est la photo finish !

Le colis aura donc parcouru environ : 23120 km soit plus de la moitié de la circonférence de la terre. Est-ce normal ? Oui, tant que nous ne convaincrons pas Dell de fabriquer en Europe. Mais il y a quand même au moins une aberration, ce sont les 11000 km, soit quasiment la moitié du trajet, qui sont effectués pour "rien", c'est à dire que le colis part d'un point (Cologne) pour y revenir.

Si le coût du pétrole était suffisamment cher, on pourrait imaginer que le colis parte d'Incheon pour atterrir à Paris directement. Cela dit, il convient aussi de garder l'esprit que les transporteurs collectent le maximum de colis pour remplir les avions, donc que mon paquet ait transité via Cologne n'est pas spécialement choquant.

Mais j'ai beaucoup plus de mal à justifier le trajet de Cologne à Cologne en passant par le Kazakhstan. On ne peut pas justifier ce trajet pour des problèmes douaniers, ce pays n'est pas dans l'UE. Pis, il se trouve quasiment sur le chemin entre Incheon et Cologne ! C'est à dire que l'avion aurait pu se poser à Almaty et repartir pour Cologne, cela sans quasiment aucune "pénalité" pétrolière, mais non.

Il est certain qu'un pétrole plus cher aurait amené UPS à optimiser son trajet. Il est certain aussi qu'un pétrole plus cher aurait été en ma défaveur, mais là n'est pas la question.

On voit ici tout les avantages environnementaux que l'on pourrait tirer à augmenter la fiscalité sur l'énergie. Un pétrole plus cher remettrait les pros de la recherche opérationnelle au boulot pour optimiser au maximum les flux de transports. C'était tout l'enjeu de la Taxe Carbone que le même Nicolas Hulot avait inscrite au menu de son Pacte Ecologique en 2007. C'est une mesure pas facile à mettre en oeuvre, notamment parce qu'elle toucherait aussi les plus fragiles de la population, mais supprimer, via la fiscalité, des anomalies telles que celle que nous venons de voir, est une idée très séduisante.

Vous me direz que ces trajets sont déjà optimisés, ou peut-être que je suis tombé sur un cas isolé, un avion détourné par UPS pour un chargement exceptionnel et qui a impliqué cet aller-retour au Kazakhstan, par exemple, c'est toujours possible. Mais cela donne une idée de ce que peut donner un pétrole "gratuit" ou tout du moins transparent dans un système économique.

J'avais prévu de donner des chiffres en terme de consommation de pétrole et d'émission de gaz à effet de serre de ce "détour" de 11000 km, mais malheureusement, j'ai le plus grand mal à créer mon compte sur le site de l'Ademe, ce sera donc pour plus tard.

Aucun commentaire: