jeudi 13 décembre 2012

Voiture, le chant du cygne

Comme tout le monde l'aura compris, à moins de vivre coupé du monde, le monde de l'automobile va mal. Disons plus précisément que les constructeurs généralistes vont mal. Les constructeurs de luxe (les vroum vroum pour jouer à celui qui a la plus grosse) vont bien surtout grâce aux pays émergents, et les low cost (Dacia et compagnie) arrivent à tirer leur épingle du jeu...pour l'instant.

Cette situation est loin d'être nouvelle, rappelez vous février 1994, la prime à la casse de Balladur ; nous sommes en 2012, bientôt 2013, cela fait donc presque 20 ans (!) que l'automobile vit sous perfusion.

Que n'y-a-t-il eu de lamentations médiatisées pour pleurer la compétitivité perdue de notre France, d'appels au secours des constructeurs, eux aussi passablement médiatisés, pour quémander quelques deniers. Bref la bagnole se lamente et c'est tout le pays, médiatique, qui pleure à l'unisson. Mais au milieu des articles compatissants, il y a, à mon sens, 2 causes qui sont sous-estimées, l'une est économique, l'autre est un changement des usages.

La cause économique est je pense tout simplement celle de l'inadéquation entre le coût réel de possession d'une voiture et les moyens de la population. Il me revient en mémoire une anecdote que m'a racontée mon père il y a quelques années. Il me disait alors que, dans les années 70, il avait failli s'acheter une Ferrari Daytona d'occasion. A l'époque, me disait-il, une Daytona de 10 ans d'âge coûtait dans les 60 000 francs, ce qui était, somme toute abordable, même pour l'employé de commerce qu'il était alors.

Alors, j'ai recherché des infos là-dessus.Sur le site de l'INSEE, on trouve les statistiques concernant l'évolution du SMIC, nous pouvons donc faire le rapide calcul suivant :
19802012
Smic2563,55 Frs1425,67 €
Ferrari de 10 ans60 000 Frs90 000 €
Coût (nb de mois)2463

Pour information, j'ai choisi un modèle de Ferrari équivalent, de 10 ans, soit la 575M que l'on trouve communément pour 90 000 €.

Je vois dans ce tableau, le symbole de l'augmentation des inégalités dans ce pays qu'est la France, et la difficulté croissante de financer une voiture pour tout un chacun. L'Automobile Club de France a d'ailleurs publié une étude très intéressante sur le coût de possession d'une Renault Clio de base, et le résultat est édifiant, une Clio vous coûte près de 6000 € par an si vous l'achetez neuve et la conservez 4 ans. Cette étude nous apprend surtout que ce coût a augmenté de 4 % par rapport à l'année précédente. Si l'on va voir du côté de l'INSEE, on remarquera que l'évolution du salaire de base est loin d'afficher la même progression puisque la moyenne de l'augmentation du salaire de base sur les 5 dernières années est de 2.3 %.

Nous roulons donc dans des voitures toujours plus performantes, plus grosses, plus chères ; mais surtout dont la variation des prix se déconnecte de l'évolution des revenus des acheteurs. Même les low-cost sont touchées par cette évolution. Les constructeurs, lancés sur la folie de la toujours plus grosse, en oublient les réalités économiques. Alors devant ce tableau peu réjouissant, que fait la population ? Elle se détourne de la voiture, on rentre là dans la deuxième cause de ce déclin, celui du changement des usages.

En effet, de la même manière que nous faisons face au peak oil, de nombreux signaux mettent en évidence que les pays occidentaux font aussi face au peak car, c'est à dire que nous avons passé le point culminant de notre utilisation de la voiture et que l'usage de celle-ci maintenant décroît. De nombreuses recherches ont été menées à l'étranger sur cette question, et les résultats convergent. Au Royaume-Uni, ou aux États-Unis, le constat est partagé, même le célèbre Time y a consacré un article récemment. Et en France alors ? Pareil, un article de Actu-Environnement de 2007 analysait déjà le phénomène. Ok, mais 2007, c'est loin, qu'en est-il aujourd'hui ? La tendance ce poursuit si l'on en croit l'INSEE, voici l'évolution du parcours moyen effectué par une voiture en France métropolitaine sur les 5 dernières années.

Parcourd moyen d'une voiture sur 5 ans en France
Source: INSEE

Ce qui est surprenant dans ce résultat, c'est que le kilométrage moyen baisse depuis maintenant plus de 10 ans, alors que le parc automobile, lui, augmente de manière constante sur cette période. Voici les statistiques sur 5 ans.

Source: INSEE

Le parc est de plus en plus fourni, mais roule de moins en moins. J'ai donné un lien vers un article anglais, mais nous pouvons regarder directement les statistiques fournies par le ministère des transports du Royaume-Uni. Nous observons que le kilométrage moyen diminue aussi là-bas depuis 2007/2008.

Source : Transport Statistics Great Britain 2011

Force est de constater que nous assistons à une modification profonde des usages de l'automobile. Mais d'où peut bien venir cette évolution ? En fait, il n'y a pas une cause à ce phénomène, mais plusieurs. Tout d'abord le prix de pétrole a indéniablement joué un rôle, tout le monde a maintenant compris que l'ère du pétrole gratuit, ou peu s'en faut, touche à sa fin, nous sommes rentrés dans l'ère du pétrole cher, car nous avons passé le fameux pic pétrolier et qu'en conséquence l'approvisionnement en pétrole baisse, la France a perdu 10% de son pétrole depuis 2005 ! Cela ne touche d'ailleurs pas que notre pays, même le pays symbole de l'addiction au pétrole, les États-Unis, est touché par cette augmentation du prix des carburants. Voici une infographie éclairante sur la baisse de l'utilisation de la voiture et l'évolution du prix du pétrole, cette infographie a été réalisée à partir des études de la Brookings Intitution.


Source: Arch Daily


D'aucuns verront dans cette infographie la justification de la taxe carbone, montons le prix de l'essence et l'utilisation de la voiture baissera. Cela semble fonctionner, effectivement.

Autre cause qu'il convient de mentionner : la lutte des villes pour désengorger l'espace urbain public. Les grandes villes françaises sont maintenant rentrées en guerre contre le tout voiture, ce qui pousse à laisser les voitures aux abords des agglomérations pour prendre les transports en commun ou le vélo, c'est toujours ça de trafic économisé.

Enfin, un facteur plus surprenant est cité par certaines études, c'est la désaffection de la voiture par la génération Y. Cette désaffection s'explique bien sur par des facteurs économiques comme ceux que j'ai déjà énoncés, mais le résultat est aussi que la voiture perd de son sex-appeal. Pour un jeune aujourd'hui, il est plus valorisant, et moins cher, d'avoir un iPhone XX qu'une voiture qui reste garée plus de 80% de son temps.

On préfère vivre alors dans un périmètre maîtrisé, où la voiture est inutile, et au besoin on remplace certains besoins de déplacement par une utilisation accrue des technologies de l'information. Au lieu d'aller à la Fnac, on commande sur le site et on se fait livrer, et au lieu d'aller voir les potes, on discute en tchat avec des webcams. Vous n'y croyez pas ? Reprenons une autre partie de notre infographie.

 Source: Arch Daily

Cette partie de l'infographie a été réalisée avec les résultats d'un sondage de ZipCar, mais qu'est-ce donc que ZipCar ? Tout simplement une plateforme américaine d'auto-partage. Là-aussi, on mutualise les ressources, au lieu d'une voiture (garée la majorité de temps) pour X personnes, on a maintenant une voiture pour X*N personnes. Ce qui réduit d'autant les besoins de voitures, et ce qui n'arrange bien sur pas les constructeurs. Et ne croyons surtout pas cette évolution réservée à nos amis américains, la consommation partagée fait aussi son trou en France, et pas que pour l'automobile.

Les défaillances de constructeurs vont certainement continuer au fur et à mesure du changement de modèle auquel nous assistons, et la voiture électrique ne changera rien au problème (j'écrirai un billet là-dessus). Faut-il pleurer sur leur sort ? Oui parce que c'est toujours dramatique de perdre son job, et la voiture fait vivre beaucoup de monde. Mais a-t-on pleuré autant quand les fabricants de charrettes ont été remplacés par les voitures ? A-t-on pris à cette époque des mesures pour préserver un marché qui était, de toute façon, condamné à disparaître ? Aujourd'hui, est-ce que cet argent ne serait pas mieux utilisé  pour d'autres choses, comme par exemple, la reconversion des professionnels de l'automobile ?

Le monde change, nous devons nous adapter, je ne pense pas que perpétuer artificiellement des modèles obsolètes soit le meilleur choix à faire.

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