vendredi 21 décembre 2012

Tom Murphy : Quand l'économie rencontre l'énergie, les limites physiques à la croissance

Introduction

Vous ne connaissez probablement pas Tom Murphy. Tom Murphy est américain, et professeur de physique à l'université de Californie. Il tient un blog, en anglais, sur les questions physiques et énergétiques. Il y a quelques mois, Tom Murphy était invité à un banquet au cours duquel il a rencontré un économiste, éminent professeur dans une prestigieuse institution américaine. Sur son blog, il retranscrit cette conversation aussi précisément que sa mémoire le lui permettait. Comme je trouve ce billet vraiment passionnant, je me suis amusé à le traduire en Français. Bonne lecture.

Note : J'ai choisi les initiales TM pour "Tom Murphy" et E pour "Économiste" (le texte sera en italique).

Acte 1 : Pain et Beurre

TM : Bonjour, je m'appelle Tom, je suis professeur de physique.

E : Bonjour Tom, je m'appelle (...), je suis professeur d'économie.

TM: Ah, bonne nouvelle. Depuis un moment je réfléchis un peu à la croissance et je voudrais discuter avec vous d'une idée. Je pense que la croissance économique ne peut pas continuer indéfiniment.

E : Ah bon ? Vous pensez vraiment que la croissance ne peut PAS continuer pour toujours ?

TM : C'est bien ça. Je pense que la limite viendra des limites physiques.

E : Bien sur, rien ne peut vraiment durer pour toujours. Le soleil, par exemple, ne va pas bruler pour toujours. Sur une échelle de quelques milliards d'années, les choses prennent fin.

TM : Bien sur, mais je parle d'une échelle de temps plus immédiate, ici, sur terre. Les ressources physiques de la terre, et en particulier celles de l'énergie, sont limitées et devraient empêcher la poursuite de la croissance d'ici quelques siècles, voire même avant, tout dépendra des choix que nous ferons. Il y a des considérations thermodynamiques à cela.

E : Je crois que l'énergie ne sera jamais un facteur limitant de la croissance économique. Bien sur, les combustibles fossiles conventionnels sont limités. Mais nous pouvons leur substituer des ressources non conventionnelles comme les schistes bitumineux, le gaz et pétrole de schistes, etc. Avant que toutes ces ressources soient épuisées, nous aurons le temps de construire des infrastructures basées sur les énergies renouvelables éolienne, solaire, et géothermique, plus la prochaine génération de fission nucléaire et potentiellement la fusion nucléaire. Et dans le futur, il y aura probablement des technologies énergétiques que nous n'avons pas encore explorées.

TM : Bien sur, cela peut arriver, et j'espère que ce sera le cas à une échéance pas trop lointaine. Mais regardons les conséquences physiques d'une augmentation de la consommation énergétique dans le futur. A quel taux moyen la consommation énergétique a-t-elle augmenté au cours des quelques siècles passés ?

E : Je dirais quelques pourcents, disons entre 2% et 5%.

Consommation énergétique totale des USA depuis 1650. L'échelle verticale est logarithmique, la droite représentée ici (sa pente est de 2.9% par an) est donc une courbe exponentielle. Source : Agence Internationale de l’Énergie.


TM : C'est ça, si vous tracez la consommation d'énergie totale aux USA de 1650 à nos jours, vous verrez une augmentation incroyablement constante d'environ 3% par an. La situation à l'échelle du monde est similaire. Alors, combien de temps pensez-vous que nous pourrons continuer ainsi ?

E : Regardons ça, 3% d'augmentation par an signifie un doublement tous les 23 ans. Donc, une augmentation d'un facteur 15 à 20 chaque siècle. Je vois où vous voulez en venir. Continuer comme cela encore quelques siècles peut sembler absurde. Mais n'oubliez pas que la population a augmenté sur votre période d'étude. La population cessera d'augmenter avant la fin de ce siècle.

TM : C'est vrai. Donc nous sommes d'accord pour dire que la consommation d'énergie ne continuera pas indéfiniment. Mais je voudrais dire 2 choses avant de continuer :
  • Tout d'abord, la croissance de l'énergie a largement dépassé la croissance démographique, de sorte que la consommation d'énergie par habitant a bondi de façon spectaculaire au fil du temps, ainsi l'intensité énergétique de nos vies est beaucoup plus importante que ce qu'elle était du temps de nos arrières-arrières-grands-parents (nos vies sont plus riches). Donc, même si la population se stabilise, comme nous sommes habitués à la croissance de l'énergie par habitant, l'énergie totale consommée devrait continuer à croître, selon cette tendance,
  • Enfin, les limites de la thermodynamique nous imposent de limiter notre consommation d'énergie au risque de nous faire cuire nous-mêmes. Je ne parle pas de réchauffement climatique, de CO2, etc. Je parle du rayonnement de l'énergie consommée vers l'espace. J'imagine que vous êtes d'accord pour limiter notre conversation à la terre sans parler de voyage dans l'espace, colonisation de planètes, vivre à la Star Trek, etc.
E : Tout à fait d'accord, restons sur terre.

TM : Très bien, la terre n'a qu'un seul moyen pour relâcher la chaleur vers l'espace, c'est le rayonnement infrarouge. Nous maîtrisons parfaitement ce phénomène, et nous pouvons prédire la température à la surface de la terre en fonction de l'énergie que l'humanité consomme.
Le fait est que, à un taux de croissance de 2,3% (idéalement choisi pour représenter une augmentation de *10 chaque siècle), nous atteindrons la température d'ébullition dans environ 400 ans. Et cette affirmation est indépendante de la technologie.Même si nous ne connaissons pas encore cette source d'énergie, tant qu'elle obéit à la thermodynamique, en augmentant perpétuellement notre consommation d'énergie, nous allons nous faire cuire.

E : C'est incroyable. Et ne pourrions-nous pas envoyer cette chaleur ailleurs avec un moyen technologique quelconque, plutôt que de dépendre du rayonnement thermique ?

TM : Eh bien, nous pourrions (et nous le faisons parfois) envoyer des rayonnements non-thermiques dans l'espace, comme la lumière, les lasers, les ondes radios, etc. Mais ces "sources" sont de haute intensité, avec une faible entropie d'énergie. Or, nous parlons ici d'éliminer la chaleur générée par tous les procédés par lesquels nous consommons de l'énergie. Mais cette énergie est thermique par nature. Nous pourrions récupérer une petite partie de cette énergie à des fins utiles, mais avec une très basse efficacité thermodynamique. Si vous voulez avoir des activités à très haute intensité énergétique, avoir une entropie importante sous forme de chaleur est inévitable.

E : D'accord, mais je pense toujours que notre futur peut facilement s’accommoder d'une consommation énergétique stable. Nous allons l'utiliser plus efficacement et pour des activités nouvelles qui contribuent à soutenir la croissance.

TM : Avant de répondre à ça, je voudrais mentionner un point important. Si nous maintenons ce taux de 2,3%, d'ici 400 ans, nous serons à un point où nous consommerons la totalité de l'énergie solaire arrivant sur terre. Et dans 1400 ans, nous consommerons la totalité de l'énergie du soleil lui-même. Dans 2500 ans, nous consommerons la totalité de l'énergie produite par notre galaxie (la voie lactée - 100 milliards d'étoiles !). Je pense que vous comprenez l'absurdité d'une croissance continue de la consommation énergétique. Et 2500 ans, ce n'est pas si long que ça d'un point de vue historique. Nous savons ce qui se passait sur terre il y a 2500 ans. En tous les cas, je crois savoir ce que nous ne ferons pas dans 2500 ans.

E : C'est vraiment remarquable, merci pour la démonstration. Vous avez dit environ 1400 ans pour consommer l'équivalent de l'énergie produite par le soleil ?

TM : Oui, c'est ça. Et dans ce scénario aussi, la thermodynamique a son mot à dire. Si nous essayons de produire de l'énergie, sur terre, à un rythme suffisant pour atteindre celle du soleil dans 1400 ans, alors la physique dit que la surface de la terre devra être plus chaude que celle du soleil, qui est plus importante. C'est exactement comme une lampe de 100W qui est plus chaude que votre corps, et le mien, qui produisent aussi 100 W d'énergie thermique mais sur une plus grande surface.

E : Je comprend, ça me semble logique.


Acte 2 : Salade

E : Bon, vous m'avez convaincu, cette idée de la croissance d'énergie était mauvaise, et nous devrons un jour stabiliser notre consommation d'énergie sur une valeur globalement constante. Je suis au moins prêt à accepter cela comme un point de départ pour discuter des perspectives à long terme pour la croissance économique. Mais pour revenir à votre première déclaration, je ne vois pas en quoi cela menace une croissance économique continuelle.

D'une part, nous pouvons garder la l'enveloppe énergétique constante et faire toujours plus avec cette dotation via des programmes d'efficacité énergétique. L'innovation amène de nouvelles idées sur le marché, cela stimule l'investissement, la demande, etc. Cela ne va pas s'arrêter là. Il y plein d'exemples de ressources fondamentales en déclin, rendues obsolètes ou remplacées par des innovations qui adressent les problèmes différemment.

TM : Oui, cela arrive et continuera à un certain niveau. Mais je ne pense pas que cela représente des ressources illimitées.

E : Pensez-vous que l'ingéniosité de l'esprit humain a une limite ? Ce pourrait être vrai,
mais nous ne pouvons pas prédire de façon crédible à quel point nous pourrions être d'une telle limite.

TM : Ce n'est pas vraiment ce que j'ai à l'esprit. Prenons l'efficacité, il est vrai qu'au fil du temps, les voitures consomment moins, les réfrigérateurs aussi, les bâtiments sont construits plus intelligemment pour conserver l'énergie, etc. Les meilleurs exemples montrent une amélioration d'un facteur 2 sur 35 ans, ce qui revient à 2% par. Mais beaucoup de choses sont déjà d'une efficacité proche du maximum. Les moteurs électriques, par exemple, ont une efficacité de 90%. Il faudra toujours 4184 joules pour élever la température d'un litre d'eau de 1°C. Et puis nous avons les gros consommateurs d'énergie, comme les centrales électriques, qui, eux, ne s'améliorent que doucement, 1% par an voire moins. Et ces activités tendent vers une efficacité d'environ 30%. Combien de "doublements" d'efficacité pouvons-nous attendre ? Si la majorité de nos systèmes n'étaient efficace qu'à 0.01%, je serais plus enthousiaste dans les programmes d'efficacité et la croissance pour les siècles à venir. Mais nous ne pourrions avoir encore qu'un seul doublement possible de l'efficacité, et nous avons moins d'un siècle pour le réaliser.

E : Ok, je comprends. Mais il y a plus dans l'efficacité que de simples améliorations incrémentales. Il y a aussi les changements de perspectives. La téléconférence au lieu des voyages en avion. Les ordinateurs portables remplacent ceux de bureau. L'iPhone remplace les ordinateurs portables, etc, chacun étant bien plus frugal que le précédent. Internet est un exemple d'une innovation qui change notre manière d'utiliser l'énergie.

TM : Ce sont des exemples pertinents, et j'attends bien que nous poursuivions cette discussion. Mais nous avons besoin de manger [rappel : nos protagonistes discutent lors d'un dîner de gala], il ne peut y avoir d'activité sans énergie. Il y a bien sur des activités à faible intensité énergétique, mais tout ce qui a une valeur économique ne se peut passer d'énergie.

E : Mais nous pouvons nous en approcher. Considérons la virtualisation. Imaginons que, dans le futur, nous habitions dans des maisons virtuelles et voyons tous nos désirs satisfaits grâce à des astuces de stimulation neurologique. Nous aurions toujours besoin de nourriture, mais l'énergie nécessaire pour vivre une vie à haute intensité énergétique serait relativement faible. Ceci est un exemple de technologie de rupture qui élimine le besoin d'une haute intensité énergétique. Envie de passer un week-end à Paris ? Vous pourriez alors le faire sans bouger de votre fauteuil. [TM pense que ce serait plutôt comme sur des toilettes].

TM : Je vois. Mais c'est encore une dépense d'énergie finie par personne. Non seulement il faut de l'énergie pour alimenter la personne (aujourd'hui il nous faut 10 kilocalories d'apport d'énergie pour produire une kilocalorie alimentaire, pas moins), mais aux standards actuels, l'environnement virtuel nécessite également un super-ordinateur pour chaque voyageur virtuel. Le supercalculateur à l'UCSD [Université de San Diego] consomme quelque chose comme 5 MW de puissance. Certes, on peut s'attendre à une amélioration de ce côté là, mais un supercalculateur d'aujourd'hui mange 50.000 fois plus qu'une personne, donc il y a un fossé important à franchir. C'est une idée peu convaincante, et puis tout le monde ne veux pas vivre cette existence virtuelle.

E : Vraiment ? Qui pourrait la refuser ? Tous vos besoins satisfaits et un style de vie extravagant, n'est-ce pas désirable ? Moi, j'espère pouvoir vivre un jour comme cela.

TM : Pas moi. Je pense que beaucoup préfèrerons l'odeur des vraies fleurs, même avec les pucerons et les éternuements, la sensation du vrai vent qui décoiffe les cheveux, et même la vraie pluie, les vraies piqures d'abeilles, et tout le reste. Vous pourriez être capable de simuler toutes ces choses, mais tout le monde ne veut pas vivre une vie artificielle. Et tant qu'il y aura des récalcitrants, le plan de compression des besoins énergétiques à un niveau artificiellement bas échoue. Sans même parler de satisfaire nos besoins en bio-énergétiques.

Acte 3 : Plat principal

TM : Mais quittons la Matrice et partons à la chasse. Imaginons un monde où la population et la consommation d'énergie seraient stables. Je pense que nous sommes tous deux d'accord sur ces paramètres physiques imposés. Si le flux d'énergie est fixé, et si nous faisons l'hypothèse d'une croissance économique continue, alors le PIB continue de croître pendant que l'énergie constante. Cela signifie que l'énergie (une ressource physiquement contrainte) doit devenir de moins en moins chère au fur et à mesure de la croissance du PIB, jusqu'à ce que l'énergie ne coûte plus rien.

E : Oui, je pense que le rôle de l'énergie dans l'économie va diminuer, ainsi nous n'avons pas à nous inquiéter que son prix soit bas.

TM : Wow ! Vous croyez vraiment cela ? Une ressource physiquement limitée (= rareté) qui est fondamentale pour toute activité économique deviendrait artificiellement peu onéreuse ? [Tom Murphy détourne alors l'attention de son assiette, un peu abasourdi]

E : [après réflexion] Oui, j'y crois vraiment.

TM : Ok, soyons clairs et surs de parler de la même chose. L'énergie est actuellement environ 10% du PIB. Disons que nous plafonnons la quantité physiquement disponible annuellement à un certain niveau, mais que nous laissons le PIB croître. Dans ce cas, nous ne devons plus nous préoccuper de l'inflation, si mes 10 unités d'énergie coûtent cette année 10 k$ de mon revenu de 100 k$ ; l'année d'après, cette même enveloppe énergétique coûtera 11 k$ quand je gagnerai 110 k$. Mais alors, cette inflation est vide de sens, il faut l'ignorer ; sinon dans ce cas, la croissance du PIB ne serait pas réelle, mais une simple remise à l'échelle de la valeur monétaire.

E : Je suis d'accord.

TM : Alors, pour avoir une croissance réelle du PIB avec une enveloppe énergétique constante, le coût fractionnaire de l'énergie, par rapport au PIB global, décroît.


E : C'est correct.

TM : Comment voyez-vous alors l'évolution ? Est-ce que l'énergie sera de 1% du PIB ? 0.1% ? Y-a-t-il une limite ?

E : Il n'y a pas besoin d'en avoir. L'énergie peut être d'une importance secondaire dans l'économie à l'avenir, comme dans le monde virtuel que j'ai illustré.

TM : Mais si le prix de l'énergie devient si faible, quelqu'un pourrait acheter toute l'énergie disponible, ce qui amènerait à la paralysie des activités, y compris économiques, qui dépendent de l'énergie. La nourriture arrêterait d'arriver dans nos assiettes sans énergie, donc les gens seront attentifs à cela. Quelqu'un sera alors prêt à payer plus pour cela. Tout le monde le fera. Il y aura finalement un prix plancher, un fraction du PIB en dessous de la laquelle le prix ne descendra pas.

E : Ce plancher peut être très bas, bien moins que 5 à 10 % du prix que nous payons aujourd'hui.

TM : Mais y-a-t-il un limite ? Jusqu'où êtes vous prêts à aller ? 5% ? 2% ? 1% ?

E : Disons 1%.

TM : Donc une fois le prix de notre enveloppe énergétique fixé à 1% du PIB, les 99% restants sont coincés. S'ils tentent d'augmenter, alors les prix de l'énergie doivent monter en proportion et nous avons l'inflation monétaire, mais pas une croissance réelle.

E : Eh bien, je n'irai pas aussi loin. Vous pouvez toujours avoir de la croissance sans augmentation du PIB.

TM : Mais il me semble que vous comprenez que le coût de l'énergie ne descendra pas à un niveau artificiellement bas.

E : Oui, je me dois de retirer cette déclaration. Si l'énergie disponible est plafonnée avec un quota fixe chaque année, alors cela devient une préoccupation pour l'économie, il ne faut pas cela mette l'économie en danger.

TM : Même les premiers économistes comme Adam Smith avaient prévu la croissance économique comme une phase temporaire qui ne dure que quelques centaines d'années, la limite ultime venant de la terre elle-même (qui est encore l'endroit d'où nous tirons notre énergie). Si la société humaine vit sur le long terme, il est clair que c'est la théorie d'une économie stable et équilibrée qui prévaudra, contrairement à celle, actuelle, de la croissance. Oubliez Smith, Keynes, Friedman, et consorts. On se souviendra bien plus longtemps des économistes qui théorisent cet état d'équilibre, que des camarades apôtres de la croissance.

[l'économiste regarde alors au loin, en appréciant cette pensée]

Acte 4 : Dessert

E : Finalement, je ne suis pas d'accord avec cette théorie que la croissance doit s'arrêter une fois que l'on aura limité les prix et la disponibilité de l'énergie. Il y aura toujours des innovations que les gens sont prêts à acheter qui ne nécessitent pas d'énergie supplémentaire.

TM : Les choses vont certainement changer. Un "état d'équilibre" ne veut pas dire statique. Les modes feront toujours partie de ce que nous faisons, nous n'allons pas cesser d'être humain. Mais je suis convaincu que c'est un jeu à somme nulle. Les modes vont et viennent. Une fraction du PIB ira toujours vers ces modes, ces gadgets, mais une mode nait, meurt et laisse la place à une autre. L'innovation maintiendra un certain flux économique, c'est certain, mais pas nécessairement un flux croissant.

E : Ah, la question clé est alors de savoir si nous vivrons mieux dans 400 ans qu'aujourd'hui. Même si l'énergie et le PIB seront plafonnés, est-ce que la qualité de vie continuera d'augmenter, objectivement ?

TM : Je ne sais pas ce qu'une telle mesure objective peut être. Beaucoup aujourd'hui préfèreraient vivre comme dans le passé. Peut-être est-ce dû à de l'ignorance ou la nostalgie du passé (des années 50 en particulier). Il peut être très excitant d'imaginer vivre dans l'Europe de la Renaissance, jusqu'à ce qu'un seau d'excréments, jeté depuis une fenêtre, vienne éclabousser la rue et vos vêtements avec. A quels progrès objectifs, pensez-vous ?

E : Eh bien, prenez ce dessert par exemple, avec ses décorations faites de tourbillons de sirop. C'est merveilleux.

TM : Et gouteux.

E : Nous apprécions ces desserts, simples, sans fioritures. En fait, on peut imaginer un dessert équivalent avec des ingrédients équivalents, avec le sirop simplement proposé à côté. Mais nous donnons plus de valeur au gâteau décoré. Donc les chefs vont continuer d'innover. Imaginez un incroyable dessert dans 400 ans,vous n'auriez jamais imaginé qu'un dessert puisse être si merveilleux à regarder et si incroyablement bon. Les gens feraient la queue pour mettre la main sur un tel gâteau. Pas plus d'énergie, ni d'ingrédients, mais une valeur accrue pour la société. C'est une forme d'amélioration de la qualité de vie qui ne nécessite pas de ressources supplémentaires, et qui peut même coûter ou rapporter la même fraction de PIB.

TM : Je souris parce que cela me rappelle une histoire similaire. J'étais à l'Observatoire Palomar avec un gourou de l'instrumentation nommé Keith qui m'a beaucoup appris. Le repas que Keith pour la nuit, préparé dans la soirée à la cuisine de l'observatoire et placé dans un sac marron, était un sandwich au thon en 2 parties : des tranches de pain dans un sac plastique, et la salade au thon dans une petite boîte en plastique (pour éviter que la salade ne rende le pain tout trempé). Keith renversa la boîte de thon sur la pain, puis plaqua la 2é tranche de pain sur le thon sans même l'étaler. Ca ressemblait à un serpent qui venait de manger un rat. Perplexe, je lui ai demandé s'il avait l'intention d'étaler le thon avant de le manger. Il m'a regardé bizarrement (comme Morpheus dans Matrix : "Tu crois que c'est l'air que vous respirez ? Hmm ?"). Et il a dit, mémorable : "Tout va au même endroit."

Ce que je veux démontrer c'est que ces stupéfiantes présentations sur nos desserts n'auront pas une valeur universelle dans la société. Ils vont tous au même endroit après tout. [Je vais partager un secret peu connu, il est difficile de faire aussi bien que les desserts Hostess Ding Dong, mais je ne suis pas sur que les 5% du prix pour les décorations soient justifiés] [note de traduction : Hostess Ding Dong était une marque de gâteaux américaines qui a fermée depuis.]

Acte 4 : Contemplations d'après dîner

La présentation d'après dîner commença et nous interrompirent notre conversation. Mais je continuais à y penser. "Cela n'aurait pas dû arriver. Un éminent économiste ne devrait pas avoir se dédire de ses déclarations sur la nature fondamentale de la croissance lorsqu'il parle avec un scientifique sans aucune formation en économie. Mais plus la soirée avançait, plus l'espace dans lequel l'économiste évoluait se rétrécissait.

Tout d'abord, il a dû reconnaître que l'énergie peut avoir des limites physiques. Je ne pense pas que cela faisait partie de sa maison virtuelle initiale.

Puis, l'argument de l'efficacité a été dévalué de "technologie de rupture" à de simples transformations technologiques. La réalité virtuelle a joué un rôlede premier plan dans ce genre d'argument.

Enfin, même après avoir accepté les limites de la croissance de l'énergie, il a d'abord cru que cela se révèlerait de peu de conséquences pour l'économie. Mais il a dû finalement admettre un prix plancher à l'énergie et donc un terme à la croissance traditionnelle du PIB avec un prix stable de l'énergie.

J'ai le sentiment que l'idée, que se fait cet économiste, de la croissance a été mise en difficulté durant ce dîner. Peut-être n'a-t-il pas mis en avant ses meilleurs arguments. Pourtant il était très fort et ses arguments me semblaient être de très bon niveau. Cet épisode me semble très éclairant sur l'obscurantisme de la pensée économique traditionnelle. Les limites physiques sont par trop peu considérées, de même que le caractère non uniforme de l'être humain, qui peut faire des choix qui nous semblent irrationnels, juste pour se sentir libre et indépendant.

Je me suis récemment motivé pour lire un vrai livre d'économie, écrit par des gens qui comprennent et considèrent les limites physiques. Ce livre "Ecological Economics", de Herman Daly et Farley Joshua déclare dans sa note aux instructeurs :

...nous ne partageons pas l'opinion de nombre de nos collègues économistes que la croissance va régler les problèmes de l'économie, que l'intérêt personnel est la seule motivation de l'être humain, que la technologie trouvera toujours un substitut aux ressources en déplétion, que le marché peut s'appliquer efficacement à tout types de biens, que le marché libre mène toujours à un équilibre entre l'offre et la demande, ou que les lois de la thermodynamique n'ont rien à faire avec l'économie.

Voilà un livre pour moi !

Épilogue

La conversation retranscrite ici m'a aussi amené à remettre en question mes propres opinions.
J'ai passé le reste de la soirée à réfléchir à la question : « Dans un modèle dans lequel le PIB est fixe dans des conditions d'énergie stable, la population est stable, l'économique équilibrée : si l'on accumule les connaissances, si l'on améliore la qualité de la vie, et finalement si l'on crée un monde incontestablement plus désirable dans lequel vivre, n'est-ce pas une forme de croissance économique ?"

Je dois admettre que oui, ça l'est. Cela apparaît souvent sous le titre "développement" plutôt que "croissance". J'ai de nouveau rencontré cet économiste le lendemain et nous avons poursuivi cette conversation, finalisant les idées que nous avions laissé en suspend pendant la présentation. Je lui racontais mon idée, encore en gestation, que oui, nous pouvons améliorer la qualité de la vie sous un régime stable. Je ne crois pas que j'aurais pu le formuler autrement, mais je ne considère par cela comme une forme de croissance économique. Une façon d'encadrer le débat serait de se demander si les gens qui vivront dans 400 ans seront comme nous, exercerons-ils les mêmes métiers ? Cette vie future sera-t-elle objectivement meilleure ? Même avec une enveloppe énergétique stable ? Le même PIB ? Les mêmes revenus ? Si la réponse est oui, alors ces personnes du futur en auront plus pour leur argent et leur énergie. Cela peut-il se poursuivre indéfiniment (en milliers d'années) ? Peut-être. Avec une progression de 2% par an (*10 par siècle) ? J'en doute.

Je peux donc tordre ma pensée en pensant à ce développement de la qualité de vie, dans un régime stable, comme une forme de croissance infinie. Mais ce n'est pas la croissance de mon père. Ce n'est pas la croissance du PIB, ni celle de l'énergie, ni celle des intérêts bancaires, des prêts, de la réserve monétaire, ou de investissements. C'est un jeu totalement différent les gars ! Cela, j'en suis convaincu. De grands changements nous attendent. Une économie méconnaissable. La principale leçon pour moi, c'est que la croissance n'est pas un "bon nombre quantique», comme les physiciens diront : ce n'est pas un invariant de notre monde. Accrochez-vous à elle à vos risques et périls.

jeudi 13 décembre 2012

Voiture, le chant du cygne

Comme tout le monde l'aura compris, à moins de vivre coupé du monde, le monde de l'automobile va mal. Disons plus précisément que les constructeurs généralistes vont mal. Les constructeurs de luxe (les vroum vroum pour jouer à celui qui a la plus grosse) vont bien surtout grâce aux pays émergents, et les low cost (Dacia et compagnie) arrivent à tirer leur épingle du jeu...pour l'instant.

Cette situation est loin d'être nouvelle, rappelez vous février 1994, la prime à la casse de Balladur ; nous sommes en 2012, bientôt 2013, cela fait donc presque 20 ans (!) que l'automobile vit sous perfusion.

Que n'y-a-t-il eu de lamentations médiatisées pour pleurer la compétitivité perdue de notre France, d'appels au secours des constructeurs, eux aussi passablement médiatisés, pour quémander quelques deniers. Bref la bagnole se lamente et c'est tout le pays, médiatique, qui pleure à l'unisson. Mais au milieu des articles compatissants, il y a, à mon sens, 2 causes qui sont sous-estimées, l'une est économique, l'autre est un changement des usages.

La cause économique est je pense tout simplement celle de l'inadéquation entre le coût réel de possession d'une voiture et les moyens de la population. Il me revient en mémoire une anecdote que m'a racontée mon père il y a quelques années. Il me disait alors que, dans les années 70, il avait failli s'acheter une Ferrari Daytona d'occasion. A l'époque, me disait-il, une Daytona de 10 ans d'âge coûtait dans les 60 000 francs, ce qui était, somme toute abordable, même pour l'employé de commerce qu'il était alors.

Alors, j'ai recherché des infos là-dessus.Sur le site de l'INSEE, on trouve les statistiques concernant l'évolution du SMIC, nous pouvons donc faire le rapide calcul suivant :
19802012
Smic2563,55 Frs1425,67 €
Ferrari de 10 ans60 000 Frs90 000 €
Coût (nb de mois)2463

Pour information, j'ai choisi un modèle de Ferrari équivalent, de 10 ans, soit la 575M que l'on trouve communément pour 90 000 €.

Je vois dans ce tableau, le symbole de l'augmentation des inégalités dans ce pays qu'est la France, et la difficulté croissante de financer une voiture pour tout un chacun. L'Automobile Club de France a d'ailleurs publié une étude très intéressante sur le coût de possession d'une Renault Clio de base, et le résultat est édifiant, une Clio vous coûte près de 6000 € par an si vous l'achetez neuve et la conservez 4 ans. Cette étude nous apprend surtout que ce coût a augmenté de 4 % par rapport à l'année précédente. Si l'on va voir du côté de l'INSEE, on remarquera que l'évolution du salaire de base est loin d'afficher la même progression puisque la moyenne de l'augmentation du salaire de base sur les 5 dernières années est de 2.3 %.

Nous roulons donc dans des voitures toujours plus performantes, plus grosses, plus chères ; mais surtout dont la variation des prix se déconnecte de l'évolution des revenus des acheteurs. Même les low-cost sont touchées par cette évolution. Les constructeurs, lancés sur la folie de la toujours plus grosse, en oublient les réalités économiques. Alors devant ce tableau peu réjouissant, que fait la population ? Elle se détourne de la voiture, on rentre là dans la deuxième cause de ce déclin, celui du changement des usages.

En effet, de la même manière que nous faisons face au peak oil, de nombreux signaux mettent en évidence que les pays occidentaux font aussi face au peak car, c'est à dire que nous avons passé le point culminant de notre utilisation de la voiture et que l'usage de celle-ci maintenant décroît. De nombreuses recherches ont été menées à l'étranger sur cette question, et les résultats convergent. Au Royaume-Uni, ou aux États-Unis, le constat est partagé, même le célèbre Time y a consacré un article récemment. Et en France alors ? Pareil, un article de Actu-Environnement de 2007 analysait déjà le phénomène. Ok, mais 2007, c'est loin, qu'en est-il aujourd'hui ? La tendance ce poursuit si l'on en croit l'INSEE, voici l'évolution du parcours moyen effectué par une voiture en France métropolitaine sur les 5 dernières années.

Parcourd moyen d'une voiture sur 5 ans en France
Source: INSEE

Ce qui est surprenant dans ce résultat, c'est que le kilométrage moyen baisse depuis maintenant plus de 10 ans, alors que le parc automobile, lui, augmente de manière constante sur cette période. Voici les statistiques sur 5 ans.

Source: INSEE

Le parc est de plus en plus fourni, mais roule de moins en moins. J'ai donné un lien vers un article anglais, mais nous pouvons regarder directement les statistiques fournies par le ministère des transports du Royaume-Uni. Nous observons que le kilométrage moyen diminue aussi là-bas depuis 2007/2008.

Source : Transport Statistics Great Britain 2011

Force est de constater que nous assistons à une modification profonde des usages de l'automobile. Mais d'où peut bien venir cette évolution ? En fait, il n'y a pas une cause à ce phénomène, mais plusieurs. Tout d'abord le prix de pétrole a indéniablement joué un rôle, tout le monde a maintenant compris que l'ère du pétrole gratuit, ou peu s'en faut, touche à sa fin, nous sommes rentrés dans l'ère du pétrole cher, car nous avons passé le fameux pic pétrolier et qu'en conséquence l'approvisionnement en pétrole baisse, la France a perdu 10% de son pétrole depuis 2005 ! Cela ne touche d'ailleurs pas que notre pays, même le pays symbole de l'addiction au pétrole, les États-Unis, est touché par cette augmentation du prix des carburants. Voici une infographie éclairante sur la baisse de l'utilisation de la voiture et l'évolution du prix du pétrole, cette infographie a été réalisée à partir des études de la Brookings Intitution.


Source: Arch Daily


D'aucuns verront dans cette infographie la justification de la taxe carbone, montons le prix de l'essence et l'utilisation de la voiture baissera. Cela semble fonctionner, effectivement.

Autre cause qu'il convient de mentionner : la lutte des villes pour désengorger l'espace urbain public. Les grandes villes françaises sont maintenant rentrées en guerre contre le tout voiture, ce qui pousse à laisser les voitures aux abords des agglomérations pour prendre les transports en commun ou le vélo, c'est toujours ça de trafic économisé.

Enfin, un facteur plus surprenant est cité par certaines études, c'est la désaffection de la voiture par la génération Y. Cette désaffection s'explique bien sur par des facteurs économiques comme ceux que j'ai déjà énoncés, mais le résultat est aussi que la voiture perd de son sex-appeal. Pour un jeune aujourd'hui, il est plus valorisant, et moins cher, d'avoir un iPhone XX qu'une voiture qui reste garée plus de 80% de son temps.

On préfère vivre alors dans un périmètre maîtrisé, où la voiture est inutile, et au besoin on remplace certains besoins de déplacement par une utilisation accrue des technologies de l'information. Au lieu d'aller à la Fnac, on commande sur le site et on se fait livrer, et au lieu d'aller voir les potes, on discute en tchat avec des webcams. Vous n'y croyez pas ? Reprenons une autre partie de notre infographie.

 Source: Arch Daily

Cette partie de l'infographie a été réalisée avec les résultats d'un sondage de ZipCar, mais qu'est-ce donc que ZipCar ? Tout simplement une plateforme américaine d'auto-partage. Là-aussi, on mutualise les ressources, au lieu d'une voiture (garée la majorité de temps) pour X personnes, on a maintenant une voiture pour X*N personnes. Ce qui réduit d'autant les besoins de voitures, et ce qui n'arrange bien sur pas les constructeurs. Et ne croyons surtout pas cette évolution réservée à nos amis américains, la consommation partagée fait aussi son trou en France, et pas que pour l'automobile.

Les défaillances de constructeurs vont certainement continuer au fur et à mesure du changement de modèle auquel nous assistons, et la voiture électrique ne changera rien au problème (j'écrirai un billet là-dessus). Faut-il pleurer sur leur sort ? Oui parce que c'est toujours dramatique de perdre son job, et la voiture fait vivre beaucoup de monde. Mais a-t-on pleuré autant quand les fabricants de charrettes ont été remplacés par les voitures ? A-t-on pris à cette époque des mesures pour préserver un marché qui était, de toute façon, condamné à disparaître ? Aujourd'hui, est-ce que cet argent ne serait pas mieux utilisé  pour d'autres choses, comme par exemple, la reconversion des professionnels de l'automobile ?

Le monde change, nous devons nous adapter, je ne pense pas que perpétuer artificiellement des modèles obsolètes soit le meilleur choix à faire.

mercredi 5 décembre 2012

NDDL, symbole d'une société du passé

Peut-être ne le savez-vous pas, mais le projet d'aéroport du Grand-Ouest à Notre-Dame des Landes (NDDL pour les intimes) date de 1965. Dans les années 60, le gouvernement met en effet en place une politique ambitieuse d'aménagement du territoire, on parle déjà de combattre la centralisation. Le 3 septembre 1965, le préfet de Loire-Atlantique demande officiellement à la Direction des Bases Aériennes de lancer le processus de recherche d'un terrain pour l'aéroport prévu dans la Schéma de structure de la métropole Nantes/Saint-Nazaire.

Le site de NDDL est choisi dès 1971, et ce choix sera validé, après un période de sommeil du projet, en 1992 à la demande des conseils généraux de Loire-Atlantique, Ille et Vilaine et de la CCI de Nantes.

Pour ceux et celle que cela intéresse, TerraEco a publié un historique complet.

De 2003 à 2006, l'Etat "déroule" la procédure des enquêtes publiques pour évaluer le projet, et c'est là qu'on commence à rigoler.

En 2002, un document est rédigé par IATA (International Air Transport Association) afin d'évaluer la trafic à NDDL sur la base de différents critères. Or, depuis cette date, nous avons vécu la seconde guerre d'Irak, le passage du pic pétrolier en 2006, et la crise de 2008 qui se poursuit encore en 2012. On peut alors être surpris que ce document fasse toujours référence dans le dossier NDDL alors que nous vivons dans un monde qui a passablement changé en 10 ans.

Cette étude prévoit une croissance du trafic aérien nantais de 3.5% par an sur la période 1999-2019. Pour arriver à ce chiffre, plusieurs aspects sont étudiés et présentés page 50 dans le chapitre Facteurs d'influence, chapitre où deux choses m'interpellent :
  • L'étude tient compte de la croissance économique du pays et de la région, et table sur un maintient de la croissance d'environ 3% par an. Ah oui, mais la croissance de la France n'est justement plus passée au dessus des 3% depuis...2002, date de l'étude. Et en ce moment même, nous dirigeants se démènent pour qu'elle soit simplement positive.
  • Il n'y aucune, je dis bien aucune, mention de l'évolution du prix du pétrole et de sa disponibilité dans les facteurs impactant du projet.
En l'état actuel de nos connaissances, cette étude semble donc plutôt obsolète, et pourtant, elle est toujours versée au dossier de NDDL. Sur le site créé pour présenter la démarche de l'enquête publique de NDDL dans son ensemble, on trouve tous les documents versés au dossier...sauf un document pourtant intéressant, l'évaluation de la faisabilité technico-économique. Je ne vais pas faire mon comploteur de base, voyons y plutôt une simple erreur, mais c'est quand même dommage.

L'enquête publique nous apprend que cette faisabilité a été évaluée au regard de 3 scénarios, scénarios établis sur la base de 9 critères, dont un est : Économie mondiale, géopolitique et prix du pétrole.

En fonction de ce critère, les scénarios étudiés sont :
  • S1
    • Croissance économique de la France de 1.9% par an
    • Prix du baril de pétrole de 60 US$
  • S2
    • Croissance économique plus forte (je n'ai pas trouvé le chiffre)
    •  Prix du baril de pétrole de 60 US$ (toujours !)
  • S3
    •  Croissance économique de la France de 2.4% par an
    •  Prix du baril de pétrole de 80 US$

Tentons de voir si ces hypothèses sont vérifiées, tout d'abord avec l'historique du prix d'un baril de pétrole :
  

Puis avec l'évolution de la croissance française :

Force est de constater que les 2 hypothèses en question, hypothèses majeures pour la justification économique du projet, sont loin d'être vérifiées. Or, c'est au regard de ces hypothèses que l'on a continué ce projet. Dans la même veine, à l'issue de la procédure de justification économique, un prix de construction de NDDL de 550 millions d'euros est avancé, et, selon les 3 scénarios ci-dessus, l'aéroport NDDL est un progrès économique...sauf qu'en 2012 on nous ressert toujours ce prix de construction de 2006 et que les courbes du pétrole et de la croissance du PIB nous montrent une réalité bien loin des hypothèses retenues.
On se dit que la justification de NDDL est pour le moins bancale. Mais ce n'est pas tout. En effet, un des arguments utilisés pour justifier cet aéroport est la saturation de l'aéroport actuel de Nantes-Atlantique (voir le lien vers l'enquête publique ci-dessus), car avec un trafic approchant les 3 millions de voyageurs, les infrastructures actuelles seraient dépassées, d'où le projet de NDDL avec ses deux pistes.
Sur le site du Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie, on trouve les statistiques du trafic aérien en France. Pour Nantes, les données historiques sont reproduites sur le graphique suivant :

Source : http://www.developpement-durable.gouv.fr/-Secteur-Aerien,1633-.html

En gris c'est le nombre de passagers, en rouge le nombre de mouvements d'avions sur le tarmac. Que nous apprend ce graphique ? D'une part que le nombre de passagers augmente effectivement de façon régulière, mais d'autre part que le nombre de mouvements oscille depuis plus de 15 ans autour de 38/39 mille mouvements.

C'est intéressant ça, parce qu'on voit bien que les deux courbes n'ont pas une corrélation parfaite. Alors, saturé l'aéroport de Nantes-Atlantique avec sa piste unique de 2900 m ? Voyons ça et examinons ce qui se fait dans le monde avec une piste unique :

  • San-Diego
    • Longueur de piste 2865 m
    • Trafic passagers (2010) 16.9 millions 
    • Mouvements (2009) 199 000
  • Londres Gatwick
    • Longueur de piste 3316 m
    • Trafic passagers (2011) 33 millions
    • Mouvements  251 000
A ceux et celles qui objecteraient que Gatwick a deux pistes, il convient de préciser qu'une seule est réellement en service.A l'étude de ces chiffres, force est de constater que l'aéroport actuel est très probablement loin de la saturation, mais ce ne veut pas dire qu'il ne faille rien faire non plus. En fait les problèmes de Nantes, sont les suivants :
  • Trop peu de mouvements
  • Des avions trop petits
  • Des mouvements d'avions pas assez remplis

Est-ce qu'un autre aéroport va changer la donne ? Bof bof, on ne convaincra pas les parisiens de se taper 2h de TGV pour venir prendre l'avion à Nantes. Oh, wait ! Mais, il n'est pas prévu le train à NDDL !! Ben non, l'enquête publique bouclée en 2006 mentionnait une ligne de tram-train depuis Nantes pour desservir le nouvel aéroport et, quand même, 7000 places de parking.


Depuis, dans le projet de Vinci, constructeur retenu et concessionnaire de l'exploitation, la ligne de tram-train a été repoussée aux calendes grecques, et les parkings augmentés de 7000 à 11000 places. Puisqu'on vous dit qu'il est HQE ce machin !

La desserte justement, parlons un peu de celle de Nantes-Atlantique. Voici une petite vue aérienne de l'aéroport actuel et de son proche environnement.
Source : Google
 
En haut, juste à droite du mot "Périphérique", il y a "Neustrie" qui est la terminal de la ligne 3 du tramway. Ce qui veut dire qu'on peut tout à fait prolonger cette ligne de 3 km pour desservir l'aéroport, d'ailleurs aujourd'hui même, c'est une ligne de bus qui fait la jointure.

Et puis au-dessus et à gauche de la piste, observez bien ce tracé gris qui serpente, c'est la ligne de train Nantes-Pornic. Ce qui veut dire que là aussi, à moindre frais, on pourrait faire une gare de desserte de l'aéroport avec un TGV Paris/Nantes-Atlantique.

Tout ça pour dire que ce projet NDDL est vraiment mal fichu et d'une autre époque au regard des enjeux énergétiques qui nous attendent. Nombre d'élus sont d'ailleurs contres et regroupés au sein d'un collectif. Ces élus ont mandaté un cabinet indépendant, hollandais, CE-Delft qui s'est livré à une analyse coût/bénéfice en proposant un contre-projet avec une 2é piste sur Nantes-Atlantique, pour éviter le survol de la ville, et quelques menus aménagement pour les dessertes. Ce contre-projet est chiffré, ne touche pas à des zones humides sensibles, tire partie des infrastructures déjà en place, bref, un projet un peu plus raisonnable, cohérent et prévu pour affronter l'augmentation du trafic s'il y avait besoin.

Cette étude montre qu'il est possible de faire des modifications substantielles, mais graduelles, à moindre coût, de l'aéroport existant sans se lancer dans des travaux pharaoniques qui ne seront probablement jamais rentables. Ce contre-projet est pour le moment resté lettre morte, mais les opposants à NDDL ne désarment pas.

Je vous conseille aussi de lire le billet de Nicolas Quint sur NDDL, une autre approche, mais tout aussi pertinente.